vendredi 30 mars 2012

Le prix d'un mot

A quelques jours d'intervalle, Bernard Laporte et Jean-Michel Aulas ont été respectivement sanctionnés par les commissions de discipline de la Ligue nationale de rugby et de la Ligue de football professionnel. On sait que les deux personnages, par ailleurs fortes têtes médiatiques, sont ce que l'on appelle des grandes gueules qui ont en commun de réagir, de manière souvent trop épidermique, contre tout ce qui ressemble de près ou de loin à une agression ou à une injustice dont serait victime le club de leur coeur ; un paternalisme parfois sincère, même s'il n'exclut pas l'excès ou la mauvaise foi, qui est toutefois de nature à leur attirer les ennuis. C'est qu'on ne s'impose pas comme cela aux autres en justicier car, ici comme ailleurs - c'est heureux -, la justice privée n'a pas droit de cité.

L'entraîneur et directeur sportif du RC Toulon a écopé d'une interdiction de terrain et de vestiaires d'une durée de 60 jours. De son côté, le patron de l'Olympique lyonnais est tenu éloigné de ces mêmes lieux pendant 1 mois ferme.

D'un côté, les insultes, de l'autre, les injures

La sanction n'est pas sortie du képi des gendarmes et l'un, en manque d'inspiration, n'a pas simplement copié l'autre, plus imaginatif. Dans un système pénal ou disciplinaire, un texte définit au préalable une infraction assortie d'une sanction, et le rugby comme le football ne font pas exception. En l'occurrence, il s'agit des articles 723 et 724 des Statuts et règlements généraux 2011-2012 et des articles 2.1 et suivants du Règlement disciplinaire annexé aux règlements généraux de la Fédération française de football. Pas de surprise donc pour celui qui, par goût ou par imprudence, infligerait une "morsure" à l'adversaire : il n'y a qu'à savoir lire pour découvrir les conséquences de son geste.

Dans l'un et l'autre cas, la sanction prononcée est de même nature. Un esprit simple conclurait que les faits sont sûrement identiques, du mois comparables, et que la sortie verbale de JMA est simplement un peu moins rugueuse que la saillie de Bernard Laporte. En vérité, il a été reproché aux deux personnages d'avoir critiqué vertement les coups de sifflet de l'arbitre lors d'une rencontre de championnat disputée par leurs poulains. Les qualifications exactes qui ont été retenues sont "Action contre un officiel" (art. 723.1.1) pour l'ex-ministre des sports et "Propos blessants et injurieux à l'encontre d'un officiel" (art. 2.4 I et 2.5 I) pour le Lyonnais. On rappellera les faits pour plus de clarté, en espérant que reproduire les déclarations ne fasse pas ipso jure de nous des complices ou des coauteurs...

L'accusé Laporte a insulté l'arbitre de "con", ajoutant qu'il était "bidon" et qu'il comprenait "qu'avec des mecs comme (lui), on n'ait pas des désignations internationales" (NDLR : il n'y a plus d'arbitres français désignés par la fédération internationale pour diriger les rencontres entre nations de l'ovalie, et le coach toulonnais sous-entend que cette absence s'explique ni plus ni moins par leur profonde nullité).

Jean-Michel Aulas, quant à lui, a mis en doute l'impartialité de l'officiel, lui reprochant son "laxisme orienté", à l'issue d'un match à suspense qui n'aura ravi que les téléspectateurs (Lyon-PSG, 4-4 dont le dernier but égalisateur, marqué par Paris à la 94e minute, est resté en travers de la gorge du président). Sifflant, selon lui, à sens unique, il l'a soupçonné d'être trop aveuglé par "ce qui brille" et, partant, d'"incompétence".

Ni chaud ni froid

En principe, à ce stade, il suffit de regarder ce qu'il est inscrit dans la case en face de l'infraction pour deviner le contenu de la future sentence. Ainsi, la charte du rugby prévoit, en sus d'éventuelles amendes pour l'épris de justice et le club, 40 jours à 1 an de suspension en cas d'insulte à arbitre là où son équivalent pour le ballon rond prévoit entre 4 et 12 matchs de suspension. Si cette fourchette laisse place à l'appréciation des "juges", le contenu de la décision dépend en grande partie de la qualification effectivement retenue : le plafond de 4 matchs est ce qui sanctionne des propos blessants (entre 15 jours et 1 mois), celui de 12, des propos injurieux (entre 45 et 60 jours).

Voilà qui est étrange car, si le cas "Bernard Laporte" se situe bien dans la tranche prévue par les règlements, il est difficile de savoir si la sanction prononcée contre JMA est justifiée dans son quantum puisque l'unité de mesure prévue par le texte (le match) ne correspond pas à celle de la décision de la commission (le mois). Par ailleurs, la sanction est expressément prononcée en raison de propos "blessants et injurieux". Qu'est-ce à dire ? Faut-il cumuler les interdictions dans cette hypothèse ? On serait loin du compte ! Le moins que l'on puisse dire est que la commission de discipline de la LFP ne s'est pas vraiment embarrassée de cette question... En adepte de la légalité, tout cela me chagrine. On notera simplement que l'entraîneur de l'OL, également épinglé par la police, a lui écopé d'une sanction de 2 matchs avec sursis pour "propos blessants", ce qui correspond davantage au tarif prescrit.

Barème des sanctions applicables aux acteurs du rugby 2011-2012 (art. 725-1)

L'écart entre le contenu des deux sanctions nourrit chez moi un sentiment bizarre, ce genre de sentiment qui né d'un déséquilibre dont la cause vous échappe et qui vous plonge dans l'inconfort. Il n'y a pas ici deux poids, deux mesures, faute de pouvoir exactement comparer les comportements, et on ne peut pas dire qu'il y ait eu, de la part de la commission de discipline de la LFP, de la complaisance - 1 mois ferme, c'est assez rare. Mais je ne peux m'empêcher de douter de l'échelle des sanctions, et pas seulement quand je les compare à celles infligées dans le rugby qui ne sont pas forcément un étalon idéal - tout de même, pour des faits comparables de manque de respect à un officiel, les uns encourent une amende d'un montant de 17 à 34 € tandis que les autres risquent 500 à 8 000 € (le RC Toulon a ainsi été condamné à payer une amende de 4 000 €)...

A quoi bon ?

Une telle différence est choquante et ne contribue pas à jeter sur le football une lumière flatteuse, qui plus est dans un contexte général de grande hostilité vis-à-vis de ses "millionnaires". Il ne s'agit pas de se raccrocher à un prétendu devoir, dont seraient redevables les hommes qui portent les costumes les soirs de match, de donner l'exemple et d'éduquer ainsi les plus jeunes : un responsable peut avoir son coup de sang, vomir des mots dans un style fleuri ; cela doit être incriminé et puni, mais cela reste humain. Ce qui me heurte sera, en revanche, que la sanction ne soit pas à la hauteur. Or, de ce point de vue, je me demande, au-delà du cas "JMA", si le football ne se voile pas un peu la face avec ces amendes dérisoires et ces sanctions sportives - interdictions de couloirs - qui, pour être un peu moins molles qu'auparavant, restent toutefois inoffensives et parfaitement indolores. Elles semblent sans rapport avec l'atteinte portée au sport, et cette disproportion  risque de faire oublier moins la finalité de la sanction que la valeur que l'on veut protéger.

Ces deux cas sont, pour moi, une invitation à la réflexion comme au nettoyage de printemps. Outre le défaut de clarté de la décision prononcée contre le boss de l'OL, il me semble que les sanctions infligées dans le monde du football gagneraient à être repensées, dans un sens ou dans un autre. Les abandonner ou les durcir, pour ne pas rester plus longtemps dans des eaux tièdes et troubles.

3 commentaires:

  1. Très bon article qui nourrit évidemment mon esprit pénaliste... Mais d'ailleurs, ne pourrais-tu pas écrire un article sur l'articulation des deux ordres juridiques ? Si les propos des ces deux personnalités sont sanctionnables en vertu des règles sportives, ne pourraient-elles pas l'être en vertu du Code pénal ? Un personne condamnée par des institutions sportives pourrait-elle faire appel devant les juridictions de droit commun ?

    RépondreSupprimer
  2. Euh... Tu me laisses un peu de temps et on en reparle ?... ♥

    RépondreSupprimer