mercredi 23 novembre 2011

Patience en novembre, Noël en décembre


Oyez, oyez ! Je ne vous oublie pas - comment le pourrais-je ? J'ai même mille et une idées en tête et, forcément, un peu de retard. Mais je veux simplement vous rassurer autant que vous mettre l'eau à la bouche : je reviens très bientôt avec deux surprises que j'espère réussies.

Des indices ? Manger des chips peut rendre foot...

Je reconnais que les indices sont minces - je dis bien "les" car il y en a deux dans cette seule phrase, même s'ils n'ont rien en commun. Mais il faudra vous en satisfaire !

A très très vite !

jeudi 10 novembre 2011

Poppy or not Poppy?

Sport et Histoire font-ils bon ménage ? Non, et puis finalement oui ; ainsi en a décidé la très puissante FIFA dans une affaire qui a remué nos voisins anglais jusqu'aux tripes de David Cameron himself.



Samedi dernier, l'instance zurichoise a refusé d'accéder à la demande de la fédération anglaise de football (FA) qui souhaitait que, lors la rencontre internationale amicale programmée après-demain, Rooney and co arborent un coquelicot rouge sur leur maillot en hommage, notamment, aux combattants de la Grande Guerre. Pour la FIFA, "les lois du jeu stipulent que l'équipement des joueurs ne doit arborer aucun message à caractère politique, religieux ou commercial (...). La FIFA comprend la volonté de la FA de commémorer les vies des membres de leurs forces armées et a approuvé sa demande d'observer une minute de silence avant le coup d'envoi du match de l'Angleterre contre les champions du monde espagnols, le samedi 12 novembre à Wembley" (communiqué du 5 novembre 2011).

Let my poppy grow!

Dans les coulisses, on justifiait ce refus par la crainte d'ouvrir "la porte à d'autres initiatives partout dans le monde" et de mettre ainsi "en danger la neutralité du football". Mouais. Sur le plan du droit - même le football a ses Lois - et de la "morale", la décision me laisse perplexe tant elle brille par son incohérence et son manque flagrant de lucidité.

Détails techniques - Numéros (art. 6)
Vous l'ignorez peut-être, mais, s'agissant de la tenue des sportifs, la FIFA - comme l'UEFA - a prise sur tout. Elle dicte ses règles applicables à la taille des numéros imprimés au dos des maillots, au nombre de couleurs autorisé ou à l'épaisseur de la couture du pantalon d'échauffement du gardien - j'exagère à peine. Tout est minutieusement décrit dans le Règlement de l'équipement, réédité en 2010, véritable bible technique épluchée par les équipementiers et les fédérations nationales qui y sont rigoureusement assujetties : chaque tenue doit être homologuée par la FIFA qui autorise préalablement le port de tel ou tel accessoire, vêtement ou emblème.

A vue de nez, le coquelicot en question s'analyse en un "élément décoratif" régi par l'article 8 et défini dans le préambule du texte. Ce fameux article 8 prévoit que l'élément ne doit pas ressembler visuellement à un "symbole religieux" ou à "aucun autre symbole analogue". Il faut y voir, en vérité, un rappel aux termes de la Décision 1 du très conservateur International Football Association Board qui a précisé, sous la Loi IV relative à la tenue des joueurs, que "l’équipement de base obligatoire ne doit présenter aucune inscription politique, religieuse ou personnelle". C'est d'ailleurs sur ce fondement qu'a été récemment interdit aux Iraniennes le port du foulard en compétition officielle.

La FIFA au milieu du gué

A en croire les responsables de la FIFA, le rejet de la requête anglaise vient du caractère politique inhérent au pauvre petit coquelicot. L'accepter serait alors faire perdre au football son devoir de réserve et de neutralité. En somme, dire non au coquelicot, c'est dire non au risque de dérive qui naîtrait de l'instrumentalisation du foot à des fins revendicatives extérieures ou contraires aux sacro-saintes valeurs sportives. Rien que ça !

La décision est toutefois d'une formidable incohérence - ou plutôt, était. Si le politique n'a pas droit de cité dans une enceinte sportive et que le port du poppy est par conséquent interdit, on comprend mal pourquoi la FIFA autorise Wembley à observer une minute de silence, cérémonial qui véhicule très exactement le même message que celui porté par la jolie fleur rouge. De deux choses l'une : soit on aseptise le milieu et on ne fait place à rien - ni coquelicot, ni minute de recueillement, ni brassard noir ; soit on ne craint pas l'immixtion du politique (en se réservant la possibilité d'autoriser ou d'interdire au cas par cas) et on tolère aussi bien le coquelicot que la minute de silence ou le brassard noir.

Harry Patch, l'avocat du coquelicot

Il y a plus grave que de se représenter le football comme un monde isolé, hermétique, voire allergique à tout ce qu'il ne sécrète pas lui-même et replié sur ses propres valeurs - d'ailleurs, fort heureusement, ce n'est pas toujours le cas puisque l'UEFA admet, pour sa part, que le Barça porte au zénith les couleurs de l'Unicef... Il y a le mélange et l'incompréhension, la confusion du sens et le conservatisme aveugle : le port du coquelicot est une tradition dans les pays du Commonwealth, qui ne veulent pas oublier les hommes tombés sur les champs de bataille sur lesquels plus rien ne pousse à l'issue des combats, excepté ces fleurs rouges et les bleuets (portés par les anciens combattants français). Mais il y a bien plus. En grattant un peu, on découvre que le message que le coquelicot délivre n'est pas un message de camp, pro-allié. Au contraire, la fleur rouge dépasse le conflit pour embrasser les 500.000 morts et blessés dans les tranchées de Passchendaele (250.000 du côté allemand, 250.000 de l'autre). Vous ne croyez pas à cette poésie ? C'est pourtant Harry Patch, ancien acteur de ce drame humain et collectif, aujourd'hui disparu, qui l'affirme.
"Il est important de se souvenir du conflit, des deux côtés. Quel que soit l'uniforme porté, on a tous été des victimes".
Arborer un coquelicot sur le maillot ne rompt donc pas avec la neutralité du football, bien au contraire. Le petit poppy convoque l'histoire de la manière la moins partisane possible. Bien plus qu'une valeur, il incarne l'obligation de mémoire, imperméable à toute idée de rivalité, de nation ou de camp.

La FIFA a peut-être eu peur de braquer les Allemands ou - qui sait ? - de souffler sur les cendres du conflit de la première guerre mondiale en ces temps de crises qui font généralement le lit des extrémismes et des réflexes identitaires. Elle a fort heureusement révisé son jugement, a-t-on appris ce matin. Après la bataille, le calme revient : samedi soir, il y aura bien des coquelicots sur le gazon londonien.

mardi 8 novembre 2011

Thank you for smokin', Joe

Il y avait, au fond de ma boîte à sujets, des billets pré-rédigés sur le poker (je dois encore répondre à deux fidèles lectrices) ou sur une affaire qui secoue autant le droit que le football européen. Mais OS se fait rattraper par une actualité plus brûlante et je suis contraint de changer mes plans éditoriaux : Smokin Joe s'est éteint hier soir, 7 novembre ; on lira à coup sûr, sous la plume de journalistes trop verts, quelque formule facile comme "il a perdu son dernier combat contre la maladie".

Legend gone up in smoke

Qui est Joe Frazier, alias Smokin Joe ? Pour beaucoup, c'est un nom qui dit simplement quelque chose et, pour les plus jeunes, une option solide dans Fight Night. Pour les amoureux du sport, il est une légende qui a régné sur la catégorie reine de la boxe mondiale au point - ce n'est pas peu ! - d'inspirer un certain Sylvester Stallone qui fera monter les marches du Philadelphia Museum of Art à son Rocky et cognera contre un quartier de viande à s'en faire saigner les mains, en hommage au garçon boucher de Philadelphie que Joe était.

Smokin Joe était un lourd plutôt atypique : d'une taille moyenne, trapu, il n'était pas armé pour atteindre ses adversaires à distance. Il a su toutefois compenser son allonge modeste en maîtrisant à la perfection l'art du corps à corps et en travaillant la puissance de ses coups, à la façon d'un Mike Tyson.

Le combattant du siècle

Joe Frazier est surtout connu pour être the rival de Mohamed Ali, qu'il a battu lors du "combat du siècle" le 8 mars 1971. Les deux hommes se sont détestés, l'un sans doute plus que l'autre, le grand Ali passant le plus clair de son temps à mépriser Frazier et à se moquer de lui, y compris sur le ring.

L'origine de cette rivalité est politique autant que sportive : au contraire de Joe, garçon plutôt timide, Ali est hautement engagé dans la défense de la cause noire aux États-Unis, aux côtés notamment de Malcom X, et a fait payer à sa façon le défaut d'engagement ou de manifestation de solidarité à celui qu'il appelait "Oncle Sam".

Mais Ali contestait surtout la légitimité du titre de champion du monde conquis par Smokin Joe en 1970. Ce dernier avait obtenu la précieuse ceinture en terrassant un boxeur - Ellis - qui la portait autour de la taille par accident et par défaut : en 1966, Ali refuse de servir dans l'armée américaine au Vietnam. Objecteur de conscience, il est éloigné des rings pendant trois années et sa licence de boxe lui a été retirée. Blanchi - si l'on peut dire - par la Cour suprême, Ali a alors renoncé à sa ceinture dorée, laquelle a été remise à Ellis. Autant dire que Frazier n'est rien à ses yeux, et surtout pas un champion légitime.

L'affiche du premier combat entre les deux éternels rivaux - 8 mars 1971.

The greatest fighter of all times

Frazier v. Ali, c'est un peu comme Federer v. Nadal, le respect en moins. A la veille du combat du siècle, Smokin Joe accuse 26 combats pour 26 victoires dont 23 par K.O. Son adversaire, aussi, est invaincu et, au bout de l'épuisement, Frazier lui inflige sa première défaite dans un Madison Square Garden debout et enfiévré.

 

Smokin Joe - il est temps de vous dire que son entraîneur lui demandait de faire sortir le feu de ses gants - restera invaincu jusqu'à ce qu'un colosse de cinq ans son cadet lui tombe lourdement dessus un soir de janvier 1973, à Kingston. George Foreman le mettra trois fois à terre dès le premier round, puis trois fois dans le second avant que l'arbitre n'arrête le combat. La fin d'une époque.

Ali aura sa revanche - une victoire aux points - et une belle sera organisée à Manille en 1975. Ce sera un combat de géants sur le déclin, remporté par un Ali qui finira à l'hôpital. Joe, lui, termine le combat défiguré et son entraîneur lui retire les gants à l'issue du 14e round.


Joe Frazier était un homme ordinaire et réservé au quotidien et un combattant dur sur le ring. Haï, humilié par son éternel rival, il est parvenu à arracher à Mohamed Ali une petite phrase en forme de reconnaissance, crachée après le troisième combat : "he is the greatest fighter of all times... next to me" *.

Penser Ali était penser Frazier, les hommes comme leur nom étaient inséparables. Ils ne le sont plus que pour l'histoire - quelle sensation étrange d'imaginer que l'un puisse désormais vivre sans l'autre.

* C'est le plus grand boxeur de tous les temps... après moi.