jeudi 8 décembre 2011

Il pleut sur Zagreb

Le stade est vide, mais les lumières blanches des tours de Maksimir ne sont pas encore éteintes. Une odeur d'alcool et de tabac froid descend des allées menant aux tribunes et m'envahit les narines. Des papiers déchirés jonchent le sol. J'arrive devant un cordon bleu. Deux policiers se retournent vers moi. L'un d'eux tient un gobelet de bière. Un gobelet de mousse, plutôt, que l'alcool a déjà déserté à cette heure où la température de l'air est redescendue sous le zéro.
"Ah ! C'est vous..."


Je ne m'attendais pas à une réaction de franche camaraderie de leur part. On a beau faire partie du même bateau, qu'ils voient d'un mauvais oeil la venue d'un enquêteur français ne m'étonne guère. A leur place, je ne serais pas sûr d'accepter non plus, sans réserve, pareille intrusion sur mon territoire.
"Qu'est-ce que vous avez ?
- Une victime. Néerlandaise. Le crime remonte à moins de deux heures.
- Des témoins ?
- Plusieurs milliers.
- Un suspect ?
- ..."
Je ne parviens pas à savoir si le regard de mon interlocuteur marque la surprise ou le mépris.
"Francuski ! 
- ... Où sont-ils ?"
Je pose la question par politesse. En réalité, je connais la réponse. Le bus des Français est certainement en route vers l'aéroport de Zagreb dans l'indifférence totale. Le plus costaud des deux agents me semble plus préoccupé par la manière dont il va pouvoir remplir son verre vide que par la perspective de les cueillir avant l'embarquement. On jurerait, par tant de nonchalance, qu'ils fuient avec la bénédiction des autorités locales.

La rumeur s'est répandue comme une traînée de craie dans toute l'Europe : la victime, ancienne habituée des projecteurs, aurait été violée par onze, douze, peut-être davantage, assaillants lyonnais qui, tous, ne sont pas dans la force de l'âge.
"Fait chier... Pour une fois qu'on a l'occasion de faire la fête, de partager simplement un bon moment... Hier, Marseille m'a fait vibrer comme quand j'avais 14 ans. J'avais pas les frissons, pas les mêmes, mais c'était au moins aussi intense. Avec un finish digne de la tête de Kombouaré, un Azpilicueta parfaitement intégré, un Rémy de plus en plus jumeau d'Henry et, même, un Diarra en "homme qui marche" qui n'y croyait plus à la 57e... Et vlan la tête du fils d'Abedi à la 84e ! Et vlan la frappe d'ailleurs de Valbuena à la 87e ! Et aujourd'hui, c'est Lyon, un cas désespéré, 5 % de chance de leur côté... Il faudrait un concours de circonstances impossible, la victoire du Real à Amsterdam et un festival offensif en Croatie ! Aussitôt dit, aussitôt fait ! Un quadruplé de Gomis ! Un qua-dru-plé ! Et puis bing ! Les tireuses sont à peine à sec et voilà qu'on m'appelle parce que, "on a beau dire, c'est quand même bizarre"... Fait chier... Ouais, bien sûr, moi aussi ça m'a intrigué. Moi aussi, j'ai dit tout haut que la main du président croate a dû serrer celle de Bernard Tapie dans les vestiaires... Ok, mais c'était en plaisantant ! Faut arrêter de voir le mal partout et savourer, merde ! Mais ça, c'est pas possible, c'est au-dessus des forces de l'être humain... Ok, marquer 7 buts à l'extérieur avec une équipe B quand vous n'êtes pas en confiance et qu'il vous faut marquer au moins 4 ou 5 buts... Mais... On ne croit plus en rien, plus à la magie. Pas même à celle de Noël, putain ! Et ces enquêteurs de pacotille, de l'autre côté des Pyrénées, qui dissèquent les images comme des cadavres et croient voir dans un clin d'oeil plus fantasmé que vérifié l'aveu d'une complicité ! Non, mais je rêve ! Ce sont des dingues ! Bientôt, on va découvrir que Manchester United a fait exprès de ne pas se qualifier pour rompre avec la routine ou ou ou par crainte de se casser une nouvelle fois les dents sur l'os barcelonais... Ou que Franck Béria n'est pas moins fort que Debuchy, à gauche... On entend tout et son contraire, c'est épuisant. Tout ce qui est vrai est faux et tout ce qui est faux... Je n'en sais rien. Tout ce qui vit est prétexte à complot. "Dès qu'il y a des gros sous en jeu". Ah ! Faut pas compter sur Internet pour ralentir la circulation de ces on-dit ! Pas plus que sur les Espagnols ! Non, fait chier, vraiment. Il n'y a plus de confiance, elle est détruite sous prétexte que tout s'achète, que tout PEUT s'acheter. On se méfie de tout, de tout le monde, en permanence. De son voisin de palier ou de sa femme. D'un gardien anglais qui fait une bourde ou d'un arbitre qui ne voit rien, sans se souvenir de ce que sont génétiquement l'un et l'autre. D'une passe ratée, d'un contrôle du genou sur une pelouse indigne d'un club de ligue départementale. Et puis, quoi ? Où est le mobile ! Vous croyez vraiment qu'on ferait ça pour un chèque de 3 millions d'euros et même moins puisqu'il faudrait reverser ce que l'on a - ce que l'on AURAIT - promis à l'adversaire ? Vous croyez que JMA serait prêt à cette extrémité uniquement pour se caresser l'égo et faire entrer son OL chéri dans le panthéon de la Champions League avec une énième qualification de suite en huitième de finale ? Pas de quoi franchir la ligne jaune, sérieux... Quand je dis qu'on doute de tout, l'esprit bien salé : l'enquête de l'ARJEL sur d'hyptohétiques paris frauduleux, c'est de la désinformation pur jus. On nous bassine avec son déclenchement pour sous-entendre beaucoup de choses sans l'écrire et entretenir l'idée d'un match truqué qui fait bander, alors que c'est une procédure tristement normale... Non, c'est vraiment une époque où tout ce que l'on fait est donné d'abord aux chiens... Putain..."
Je ne me suis pas aperçu qu'il s'était mis à pleuvoir. Les deux policiers sont toujours là, les cheveux abrités sous une casquette assortie à leur veste paramilitaire.
"Fichu temps, hein !
- Ouais, encore un coup de ces Chinois ! Ils projettent de conquérir le monde. C'est c'qu'on dit."
J'éteins la cigarette que j'avais oublié d'allumer en pensant au reportage de TF1 qui recyclait des vidéos d'agressions new-yorkaises pour illustrer la recrudescence de la violence à Paris. Allez démêler le faux du vrai, vous.

2 commentaires:

  1. J'adore ! C'est idiot, mais j'ai envie de lire la suite !!! Tu connais mon addiction pour les bons polars... !

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  2. Quelle tirade !

    Voilà un billet très original ! Bravo, cher colloc' de bureau !

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