mardi 8 novembre 2011

Thank you for smokin', Joe

Il y avait, au fond de ma boîte à sujets, des billets pré-rédigés sur le poker (je dois encore répondre à deux fidèles lectrices) ou sur une affaire qui secoue autant le droit que le football européen. Mais OS se fait rattraper par une actualité plus brûlante et je suis contraint de changer mes plans éditoriaux : Smokin Joe s'est éteint hier soir, 7 novembre ; on lira à coup sûr, sous la plume de journalistes trop verts, quelque formule facile comme "il a perdu son dernier combat contre la maladie".

Legend gone up in smoke

Qui est Joe Frazier, alias Smokin Joe ? Pour beaucoup, c'est un nom qui dit simplement quelque chose et, pour les plus jeunes, une option solide dans Fight Night. Pour les amoureux du sport, il est une légende qui a régné sur la catégorie reine de la boxe mondiale au point - ce n'est pas peu ! - d'inspirer un certain Sylvester Stallone qui fera monter les marches du Philadelphia Museum of Art à son Rocky et cognera contre un quartier de viande à s'en faire saigner les mains, en hommage au garçon boucher de Philadelphie que Joe était.

Smokin Joe était un lourd plutôt atypique : d'une taille moyenne, trapu, il n'était pas armé pour atteindre ses adversaires à distance. Il a su toutefois compenser son allonge modeste en maîtrisant à la perfection l'art du corps à corps et en travaillant la puissance de ses coups, à la façon d'un Mike Tyson.

Le combattant du siècle

Joe Frazier est surtout connu pour être the rival de Mohamed Ali, qu'il a battu lors du "combat du siècle" le 8 mars 1971. Les deux hommes se sont détestés, l'un sans doute plus que l'autre, le grand Ali passant le plus clair de son temps à mépriser Frazier et à se moquer de lui, y compris sur le ring.

L'origine de cette rivalité est politique autant que sportive : au contraire de Joe, garçon plutôt timide, Ali est hautement engagé dans la défense de la cause noire aux États-Unis, aux côtés notamment de Malcom X, et a fait payer à sa façon le défaut d'engagement ou de manifestation de solidarité à celui qu'il appelait "Oncle Sam".

Mais Ali contestait surtout la légitimité du titre de champion du monde conquis par Smokin Joe en 1970. Ce dernier avait obtenu la précieuse ceinture en terrassant un boxeur - Ellis - qui la portait autour de la taille par accident et par défaut : en 1966, Ali refuse de servir dans l'armée américaine au Vietnam. Objecteur de conscience, il est éloigné des rings pendant trois années et sa licence de boxe lui a été retirée. Blanchi - si l'on peut dire - par la Cour suprême, Ali a alors renoncé à sa ceinture dorée, laquelle a été remise à Ellis. Autant dire que Frazier n'est rien à ses yeux, et surtout pas un champion légitime.

L'affiche du premier combat entre les deux éternels rivaux - 8 mars 1971.

The greatest fighter of all times

Frazier v. Ali, c'est un peu comme Federer v. Nadal, le respect en moins. A la veille du combat du siècle, Smokin Joe accuse 26 combats pour 26 victoires dont 23 par K.O. Son adversaire, aussi, est invaincu et, au bout de l'épuisement, Frazier lui inflige sa première défaite dans un Madison Square Garden debout et enfiévré.

 

Smokin Joe - il est temps de vous dire que son entraîneur lui demandait de faire sortir le feu de ses gants - restera invaincu jusqu'à ce qu'un colosse de cinq ans son cadet lui tombe lourdement dessus un soir de janvier 1973, à Kingston. George Foreman le mettra trois fois à terre dès le premier round, puis trois fois dans le second avant que l'arbitre n'arrête le combat. La fin d'une époque.

Ali aura sa revanche - une victoire aux points - et une belle sera organisée à Manille en 1975. Ce sera un combat de géants sur le déclin, remporté par un Ali qui finira à l'hôpital. Joe, lui, termine le combat défiguré et son entraîneur lui retire les gants à l'issue du 14e round.


Joe Frazier était un homme ordinaire et réservé au quotidien et un combattant dur sur le ring. Haï, humilié par son éternel rival, il est parvenu à arracher à Mohamed Ali une petite phrase en forme de reconnaissance, crachée après le troisième combat : "he is the greatest fighter of all times... next to me" *.

Penser Ali était penser Frazier, les hommes comme leur nom étaient inséparables. Ils ne le sont plus que pour l'histoire - quelle sensation étrange d'imaginer que l'un puisse désormais vivre sans l'autre.

* C'est le plus grand boxeur de tous les temps... après moi.

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