jeudi 10 novembre 2011

Poppy or not Poppy?

Sport et Histoire font-ils bon ménage ? Non, et puis finalement oui ; ainsi en a décidé la très puissante FIFA dans une affaire qui a remué nos voisins anglais jusqu'aux tripes de David Cameron himself.



Samedi dernier, l'instance zurichoise a refusé d'accéder à la demande de la fédération anglaise de football (FA) qui souhaitait que, lors la rencontre internationale amicale programmée après-demain, Rooney and co arborent un coquelicot rouge sur leur maillot en hommage, notamment, aux combattants de la Grande Guerre. Pour la FIFA, "les lois du jeu stipulent que l'équipement des joueurs ne doit arborer aucun message à caractère politique, religieux ou commercial (...). La FIFA comprend la volonté de la FA de commémorer les vies des membres de leurs forces armées et a approuvé sa demande d'observer une minute de silence avant le coup d'envoi du match de l'Angleterre contre les champions du monde espagnols, le samedi 12 novembre à Wembley" (communiqué du 5 novembre 2011).

Let my poppy grow!

Dans les coulisses, on justifiait ce refus par la crainte d'ouvrir "la porte à d'autres initiatives partout dans le monde" et de mettre ainsi "en danger la neutralité du football". Mouais. Sur le plan du droit - même le football a ses Lois - et de la "morale", la décision me laisse perplexe tant elle brille par son incohérence et son manque flagrant de lucidité.

Détails techniques - Numéros (art. 6)
Vous l'ignorez peut-être, mais, s'agissant de la tenue des sportifs, la FIFA - comme l'UEFA - a prise sur tout. Elle dicte ses règles applicables à la taille des numéros imprimés au dos des maillots, au nombre de couleurs autorisé ou à l'épaisseur de la couture du pantalon d'échauffement du gardien - j'exagère à peine. Tout est minutieusement décrit dans le Règlement de l'équipement, réédité en 2010, véritable bible technique épluchée par les équipementiers et les fédérations nationales qui y sont rigoureusement assujetties : chaque tenue doit être homologuée par la FIFA qui autorise préalablement le port de tel ou tel accessoire, vêtement ou emblème.

A vue de nez, le coquelicot en question s'analyse en un "élément décoratif" régi par l'article 8 et défini dans le préambule du texte. Ce fameux article 8 prévoit que l'élément ne doit pas ressembler visuellement à un "symbole religieux" ou à "aucun autre symbole analogue". Il faut y voir, en vérité, un rappel aux termes de la Décision 1 du très conservateur International Football Association Board qui a précisé, sous la Loi IV relative à la tenue des joueurs, que "l’équipement de base obligatoire ne doit présenter aucune inscription politique, religieuse ou personnelle". C'est d'ailleurs sur ce fondement qu'a été récemment interdit aux Iraniennes le port du foulard en compétition officielle.

La FIFA au milieu du gué

A en croire les responsables de la FIFA, le rejet de la requête anglaise vient du caractère politique inhérent au pauvre petit coquelicot. L'accepter serait alors faire perdre au football son devoir de réserve et de neutralité. En somme, dire non au coquelicot, c'est dire non au risque de dérive qui naîtrait de l'instrumentalisation du foot à des fins revendicatives extérieures ou contraires aux sacro-saintes valeurs sportives. Rien que ça !

La décision est toutefois d'une formidable incohérence - ou plutôt, était. Si le politique n'a pas droit de cité dans une enceinte sportive et que le port du poppy est par conséquent interdit, on comprend mal pourquoi la FIFA autorise Wembley à observer une minute de silence, cérémonial qui véhicule très exactement le même message que celui porté par la jolie fleur rouge. De deux choses l'une : soit on aseptise le milieu et on ne fait place à rien - ni coquelicot, ni minute de recueillement, ni brassard noir ; soit on ne craint pas l'immixtion du politique (en se réservant la possibilité d'autoriser ou d'interdire au cas par cas) et on tolère aussi bien le coquelicot que la minute de silence ou le brassard noir.

Harry Patch, l'avocat du coquelicot

Il y a plus grave que de se représenter le football comme un monde isolé, hermétique, voire allergique à tout ce qu'il ne sécrète pas lui-même et replié sur ses propres valeurs - d'ailleurs, fort heureusement, ce n'est pas toujours le cas puisque l'UEFA admet, pour sa part, que le Barça porte au zénith les couleurs de l'Unicef... Il y a le mélange et l'incompréhension, la confusion du sens et le conservatisme aveugle : le port du coquelicot est une tradition dans les pays du Commonwealth, qui ne veulent pas oublier les hommes tombés sur les champs de bataille sur lesquels plus rien ne pousse à l'issue des combats, excepté ces fleurs rouges et les bleuets (portés par les anciens combattants français). Mais il y a bien plus. En grattant un peu, on découvre que le message que le coquelicot délivre n'est pas un message de camp, pro-allié. Au contraire, la fleur rouge dépasse le conflit pour embrasser les 500.000 morts et blessés dans les tranchées de Passchendaele (250.000 du côté allemand, 250.000 de l'autre). Vous ne croyez pas à cette poésie ? C'est pourtant Harry Patch, ancien acteur de ce drame humain et collectif, aujourd'hui disparu, qui l'affirme.
"Il est important de se souvenir du conflit, des deux côtés. Quel que soit l'uniforme porté, on a tous été des victimes".
Arborer un coquelicot sur le maillot ne rompt donc pas avec la neutralité du football, bien au contraire. Le petit poppy convoque l'histoire de la manière la moins partisane possible. Bien plus qu'une valeur, il incarne l'obligation de mémoire, imperméable à toute idée de rivalité, de nation ou de camp.

La FIFA a peut-être eu peur de braquer les Allemands ou - qui sait ? - de souffler sur les cendres du conflit de la première guerre mondiale en ces temps de crises qui font généralement le lit des extrémismes et des réflexes identitaires. Elle a fort heureusement révisé son jugement, a-t-on appris ce matin. Après la bataille, le calme revient : samedi soir, il y aura bien des coquelicots sur le gazon londonien.

2 commentaires:

  1. Cette décision était d'autant plus incompréhensible que la FIFA ne rechigne pas à voir "fleurir" dans les stades, des publicités, soit directement sur des écrans encadrant la pelouse, soit par incrustation sur le gazon... Alors, un coquelicot commémoratif, dont on peut sérieusement douter du caractère politique, non, mais une publicité, dont le caractère commercial est évident, oui ?
    Ca n'avait pas de sens...

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  2. Certes ! Tu as bien raison ! Mais, sache que, juridiquement, les deux aspects ne sont pas traités de la même manière : le coquelicot est partie intégrante de la "tenue de jeu" alors que les publicités commerciales dispersées sur la pelouse relèvent d'autres règles de la FIFA (cf. Guide d'Interprétation des Lois du Jeu et directives pour arbitres, ainsi que Recommandations et exigences techniques pour les Stades de football, 4e Edition, p. 79, notamment).

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